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A l’approche de l’Avent : Veilleur, où en est la nuit ?

L’année avance lentement vers son terme. Le matin, une brume laiteuse couvre le jardin; le vent arrache aux arbres leurs parures multicolores d’automne et danse avec les feuilles or, pourpre ou brun, un ballet de rêve. Les hirondelles, les cigognes ont regagné depuis longtemps un pays plus chaud. Seuls les corbeaux ou peut-être les pies font entendre leur voix rauque. Parfois, une douce pluie descend sans redonner, comme en été, la vie à l’herbe jaunie; à d’autres moments des rafales fouettent et trempent le paysage. L’hiver n’est pas loin… Les jours sont de plus en plus frêles et les nuits rallongent.

Veilleur, où en est la nuit ? (Isaïe 21,11)

Mais c’est de la nuit du monde qu’il est question : ce monde promis à un avenir radieux, et qui pourtant semble s’enfoncer dans la ténèbre. Avant de demander où en est la nuit, ne faudrait-il pas d’abord se demander qu’est-ce que la nuit ?

Un texte ancien de la Tradition juive dit : « Quatre nuits sont inscrites dans le Livre des Mémoires »… ou plutôt « des Mémoriaux », car il s’agit là non des nuits reléguées dans le souvenir du passé, mais de celles qui sont porteuses des événements « toujours –présents ». Et chacune de ces nuits est déjà comme « enceinte » d’une allégresse prête à être mise au monde.

La première nuit est celle de la création. Les ténèbres couvraient l’abîme, nous dit le récit. Et ces ténèbres n’ont ni nom, ni lieu ; informes et vides, comme la terre qui vient d’être créée. Mais, alors que la Terre a, comme vis-à-vis le Ciel, les ténèbres sont au-dessus de ce vide comme si, en quelque sorte, elles ne faisaient pas partie de la création. « Et Dieu dit : Que la lumière soit ! » (Ge 12,3) Et voici que Dieu, en séparant des ténèbres la lumière qu’Il vient de créer, leur donne à chacun un nom, le premier qu’Il a attribué : « Dieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, Nuit ». Et « il y eut un soir, il y eut un matin, jour UN ». (Gn 1,5) Un soir… le nouveau jour commence-t-il donc par la nuit ? Oui, certes, tous les peuples anciens comptaient les jours à partir du coucher de soleil, et ce n’est pas indifférent !

Veilleur, où en est la nuit ?

La seconde nuit est celle où Abraham accompagné d’Isaac « son unique » avançait vers le Mont Moriah. Nuit d’agonie intime pour lui. Mais cette nuit-là, le Seigneur allait bientôt l’ouvrir sur une aurore de joie. Et de promesse !

La troisième nuit est celle de la Pâque : nuit de la libération, certes, mais qui suppose encore un très long chemin, et combien périlleux, à travers le désert, avant de parvenir à la terre donnée par le Seigneur. C’est notre condition actuelle, en quelque sorte. Car si le Seigneur nous a fait sortir déjà de l’esclavage, si le Verbe a assumé à notre place la seconde nuit, celle du sacrifice qui cette fois ne fut pas différé mais consommé pour le salut de tous, ce salut, nous dit Paul, nous ne le possédons « qu’en espérance »… Et nous avançons dans le désert, jusqu'à cette quatrième nuit qui s’ouvrira sur l’Aube éternelle du monde à venir promis par le Seigneur dès le commencement. Là, nous dit l’Apocalypse, « il n'y aura plus de pleur, ni de cri, ni de peine, car l'ancien monde s'en est allé » ; et de même, il n’y aura plus de nuit. Mais cette aube, quand viendra-t-elle ?

Veilleur, où en est la nuit ? Va-t-elle bientôt basculer vers l’aube ?

Depuis toujours l’homme espère voir paraître l’aube du dernier jour, le jour sans fin, sans crépuscule. Où en est la nuit, demande-t-il. Mais le veilleur n’a pas de réponse : « Le matin arrive, et aussi la nuit. Si vous interrogez, revenez ! » (Is 21, 12) Revenez vers le Seigneur, par la conversion.

Où en est la nuit ? Nul ne sait. Car ce moment-là, Jésus nous a prévenu, ce moment, nul ne le connaît, ni les anges, ni même le Fils, seulement le Père.

Pourtant, tous les ans, l’Eglise fait mémorial de ce jour tant attendu ; elle le fait au cours des premières semaines de l’Avent. Dès le premier dimanche elle nous invite à ne pas s’en remettre simplement au veilleur, à « celui qui tient la garde » ; à chacun de nous, elle dit inlassablement : « Veillez ! »

Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. (Mt 25,12) Restez éveillés, priez, afin de paraître DEBOUT devant le Fils de l’Homme. (Luc 21,36)

Depuis longtemps, les prophètes ouvraient les coeurs de leur peuple à cette attente : Venez, montons à la Montagne du Seigneur, Il nous enseignera ses sentiers. (Is 2,3)

Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer loin de tes chemins ? Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais… (Is 63,19) Tu étais irrité à cause de nos infidélités, et pourtant nous serons sauvés. (Is 64,4)

Voici le jour où j’accomplirai la promesse de bonheur…, dit alors le Seigneur. (Jér. 29,10)

Et le coeur de l’homme, en réponse, « se répandait comme l’eau au cours des veilles » en présence du Seigneur : « Mon coeur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ». (Ps 83[84],3)

Oui, le pressentiment d’une aurore est déjà là, même si ce n’est pas encore le grand matin du jour éternel.

Alors, « veilleur, où en est la nuit » ?

Car la nuit, dans la Bible, n’est pas négative ! Le psalmiste s’exprime ainsi en parlant à son Seigneur : La ténèbre n’est pas ténèbre devant Toi, Et la nuit comme le jour illumine : Ainsi les ténèbres, ainsi la lumière. (Ps 138 [139],12)

La traduction de ce dernier verset n’est pas aisée ; comme il s’agit d’une glose araméenne, on l’omet en général, ou bien on dit, comme la TOB, un peu approximativement : les ténèbres sont comme la lumière. Cependant le texte dit très exactement : comme les ténèbres, comme la lumière. Ne pourrait-on pas le comprendre ainsi : pour Dieu, la lumière ou les ténèbres sont lumineux de la même façon ?

Pour Dieu. Mais qu’en est-il pour l’homme ? Le verset précédent nous renseigne, si l’on serre de près le texte hébreu (je reconnais que l’élégance manque à cette façon de s’exprimer…) : « Et je dis : seulement la ténèbre me submergera (= pour me cacher du regard de Dieu) Et la nuit, lumière pour moi. » (Ps 138 [139],11)

C’est un exemple parmi d’autres, nombreux. Car d’une façon générale, en parcourant la Bible, on voit bien que la nuit n’est pas négative. Comment le pourrait-elle être, puisque, si « la ténèbre » est nommée dès avant la création, (et, que l’on me permette de le faire remarquer, presque dans les mêmes termes que l’esprit de Dieu nommé aussitôt après : « al-peneï », sur les faces de…,) elle est aussi l’occasion de la première parole créatrice – « que la lumière soit ». On peut même aller plus loin : après avoir créé et nommé la lumière, l’avoir trouvée bonne, après l’avoir séparée de la ténèbre, Dieu donne aussi à cette dernière un NOM NOUVEAU : la nuit. Donc, il change son destin, sa place, et la nuit fait désormais partie de cette création dont le Créateur a dit au sixième jour que « cela était très bon ».

La nuit est un lieu du DESIR : « La nuit, mon âme te désire, mon esprit en moi te cherche dès l’aube » chantera Isaïe (26,9), et le psalmiste de renchérir : « Je veille la nuit, comme un oiseau solitaire sur le toit » (Ps 101 [102],8). Et lorsque la nuit est sur le point de s’effacer devant le jour : « Tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi » (Ps 62[63],2) , ou encore : « Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore » (Ps 129 [130],6) ; « Je dors, mais mon coeur veille, j’entends mon Bien-Aimé qui m’appelle » (Cant. 5,2)...

Dès le début de l’Avent, on sent que l’attente se fait plus brûlante. La nuit semble gagner du terrain sur le jour, mais quel est donc le poète ou le mystique (et qui fut sans doute les deux à la fois) qui a qui nous a laissé cette pensée magnifique : « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière » ?

L’Avent fait chaque année un pas de plus vers la Parousie, la manifestation plénière de la Gloire du Christ… celle qu’Il nous promet, à laquelle Il nous destine. Oui, malgré le « temps mauvais » que nous vivons, que des générations ont vécu avant nous, la terre est déjà « enceinte » de cette gloire, sur le point de la mettre au monde, de mettre au monde ce « jour nouveau », jour du Christ. D’ailleurs, Isaïe, le prophète-poète, l’avait bien dit : « La terre rendra le jour aux ombres » (Is 26,19) ou bien selon une traduction moins rigoureuse sans doute mais si belle : « Le pays des ombres enfantera ». « Voici que je fais du nouveau, ne l’apercevez-vous pas ? » (Is.43,19)

Et si nos yeux sont encore appesantis par le sommeil comme ceux des trois disciples préférés lors de la Transfiguration ou à Gethsémani, nos coeurs pressentent déjà bien cette gloire dont parle Paul, celle que Dieu a destinée à TOUS, car ce même Paul nous l’affirme : « Notre Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». (1 Tim. 2,4). Et, même si l’oeuvre de quelqu’un a mérité l’entière destruction, « lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu » (1 Cor 3,15), l’immense brasier de l’amour de Dieu, ce brasier qui au dernier jour déchirera la nuit et réduira en cendres toutes nos scories.

« Puis ce sera la fin, lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance. Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi détruit, c'est la Mort. » (1 Cor 15,24-27)

Et s’ouvrira alors ce jour radieux promis dès l’origine, où «il n'y aura plus de nuit, nul n'aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière. ». (Apoc. 22,5)

Ce jour où « Dieu sera tout en tous ». (1Cor. 15,28)

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